16 August 2010

La tyrannie du pourboire.

Donnez-vous des pourboires, pourquoi, et est-ce une bonne chose ?

Comme tout le monde j’aime aller au restaurant mais je me suis toujours demandé pourquoi je devais donner un pourboire à la fin du repas. Pourquoi ne donnerais-je pas un pourboire à la caissière de mon magasin lorsqu’elle m’aide à remplir mon sac, pourquoi pas à mon coiffeur quand il écoute patiemment mes histoires, pourquoi pas à mon libraire quand il me conseille un bon livre, pourquoi pas au postier quand il m’amène un lourd colis au 4eme étage sans ascenseur,  pourquoi pas au chauffeur de bus quand il m’a aimablement attendu avant de fermer les portes ?



Le pourboire est un trait culturel lié à un domaine très spécifique de notre culture, l’hôtellerie et la restauration, et on est en droit de se poser la question de la raison de son existence ainsi que de sa pertinence.

D’un point de vue mémétique, on se posera la question de savoir quels sont les mécanismes qui ont permis à la culture du pourboire de se développer dans certains services et non dans d’autres. Egalement on pourra réfléchir aux moyens de les faire évoluer.

Je vais ici proposer une ou deux petites pistes, loin d’êtres exhaustives.

Comment tout a commencé.
Je ne connais pas les détails mais on peut facilement imaginer comment certains clients satisfaits d’un service mais tristes de voir une jeune personne avec un mauvais salaire seraient tentés de donner une petite pièce par simple charité.
Cet encouragement pécuniaire, du point de vue du « serviteur » (celui qui rend un service), va l’amener à réitérer ses efforts pour donner un bon service à d’autres clients.
En parallèle le mot pourra se répandre comme quoi si vous donnez la pièce, vous aurez un traitement de faveur, ainsi encourageant des clients à donner, non par charité mais par désir de recevoir un traitement spécial.

Une série complexe de comportements peuvent s’en suivre. Les « serviteurs » peuvent s’informer les uns les autres de quels clients sont susceptibles de donner des pourboires. Les clients eux peuvent attirer les bons serviteurs en mettant en évidence leur « générosité » en public, ainsi officialisant le geste du don de pourboire. De plus un client généreux peu vouloir diffuser une image de lui-même de personne fortunée, auprès des autres clients.

Ainsi, on observe que le pourboire peut offrir un avantage mutuel pour le client et le serviteur. Dans l’hôtellerie et la restauration, qui sont traditionnellement des services couteux, la clientèle fortunée ne souffre pas de donner un peu de monnaie et les serviteurs moins fortunés seront ravis de compléter généreusement leur salaire. Ceci à tel point que le gain en pourboires peut devenir bien plus important que le salaire de base.

Tout à l’air pour le mieux, mais le système peut déraper. C’est ainsi que ce qui peut être un simple échange de service peut devenir une dure nécessité.

En effet, les patrons de restaurants et d’hôtels finissent bien par voir l’intérêt des pourboires et voudraient bien en profiter aussi. C’est ainsi que les patrons vont commencer à réclamer une part du pourboire,  soit en le récoltant auprès des employés, soit en diminuant leurs salaires.
En conséquence, le « serviteur » se doit de s’assurer qu’il recevra des pourboires car son salaire devient insuffisant, et les pourboires deviennent donc une nécessité pour les employés, ce qui  joue en leur défaveur.

Il y a un autre effet pervers à ce système qui cette fois joue en défaveur du client.
Lorsque les serviteurs attendent systématiquement un pourboire, ils seront déçus de ne pas en recevoir et l’absence de pourboire va devenir synonyme de mauvais service. Ainsi un client sera amené à donner un pourboire simplement pour avoir un service correct. Ceci crée un coût caché pour le client.

Au final, le gagnant dans l’histoire est le patron et les perdants sont les clients et les employés.
Ce qui au début aurait pu être un geste charitable du client envers l’employé se transforme en un geste d’extorsion du client et d’abus de l’employé. Le client se retrouve à devoir payer des dépenses cachées et l’employé se retrouve sous-payé et obligé de demander la charité.


Maintenant, posons-nous la question de pourquoi les pourboires existent essentiellement dans l’hôtellerie et la restauration et peu dans les autres services.

On remarquera rapidement qu’il est certains domaines où donner un pourboire serait parfaitement illégal. Imaginez donner un pourboire à un agent de police, à un juge ou à un politicien !! Ces cas particuliers sont donc protégés par la loi.

Mais pourquoi, par exemple, ne pas donner un pourboire à un responsable de rayon qui vous donne un conseil sur le produit à acheter ? Mon argument ici sera l’état psychologique dans lequel le client se trouve.

Lorsque vous faites des courses pour des nécessités quotidiennes vous ne prenez pas nécessairement un grand plaisir à le faire. Vous vous concentrez sur le fait de réaliser la tâche le plus vite possible en dépensant le moins possible. Avec cet état d’esprit, vous êtes peu enclin à être généreux.

En comparaison, lorsque vous allez au restaurant votre état psychologique à la fin du repas sera très différent, en particulier si vous avez consommé un peu d’alcool. De même, lorsque vous prenez une chambre d’hôtel pour vos vacances, votre esprit est enjoué et détendu, bien plus enclin à se montrer généreux.

Donc, je suggère que l’état mental des clients va décider fortement de leur propension à donner des pourboires et que dans un environnement stressant les pourboires n’auront pas de succès mais dans un environnement détendu ils ont plus de chance de se répandre.


Les effets pervers du pourboire peuvent-ils être inversés ?

Pour que ces effets puissent être inversés, il faut qu’il y ait un avantage immédiat à changer de stratégie. Pour le client, il y a une difficulté sociale. Lorsque vous dinez avec des amis au restaurant, vous ne souhaitez pas que vos amis pensent que vous êtes « radin » en ne donnant pas de pourboire. Vous ne souhaitez pas non plus risquer d’insulter le serveur ou encore de prendre le risque d’être servi de façon incorrecte. Du point de vue du serveur, il est évident que refuser un pourboire semble absurde. Du point de vue du patron, arrêter les pourboires signifierait qu’il doive payer ses employés plus cher et monter ses prix, ce qui ferait fuir les clients et serait un suicide commercial.

On voit bien ici comment sortir de la culture du pourboire est difficile. Le pourboire et un système culturel stable.

Une solution pourrait consister, pour certains établissements, à faire une publicité du type “Ici pas de pourboires, employés rémunérés.” Qui sait, cela pourrait peut-être fonctionner et attirer une certaine clientèle.
Une autre solution plus radicale serait une solution extérieure au système, c’est à dire une modification de la loi, par exemple en rendant le pourboire illégal, ainsi forçant les patrons à payer des salaires corrects.
Une autre solution, peut-être plus réaliste, est de changer le format du service. Par exemple, on voit de plus en plus de services de restauration en self-service tels que Mac Donald’s, Starbucks, restos d’autoroute, etc. Ce format défavorise le développement du pourboire car le client se sert lui-même.

Vous pouvez suivre une discussion sur cet article à cette adresse :
http://www.memetique.org/forum/index.php?topic=1792.msg8323#msg8323

Si vous avez des commentaires, je serais ravi de les entendre.

Sylvain Magne